Manager le déconfinement du service clients
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Par Laurence Vigilant, consultante formatrice en relation clients
Après deux mois de confinement au cours desquels le télétravail, le chômage partiel, l’arrêt de l’activité pour garde d’enfants, voire l’arrêt maladie pour certains se sont mis en place, il est important de préparer le retour des collaborateurs à une activité « normale ».
Nous ne parlerons pas ici des protocoles sanitaires, mais bien de la prise en charge des équipes de centres de contacts d’un point de vue managérial. Un retour en douceur : oui ; la recherche de la performance immédiate : non. Il va être primordial de prendre le temps d’accueillir individuellement et collectivement les équipes en donnant du sens à l’expérience que chacun vient de vivre.
Un management centré sur l’humain, clé de la réussite
Le Sens Making, selon Karl Weick, professeur de psychologie américaine, consiste à faire un effort délibéré pour donner du sens collectivement à une expérience qui aura été vécue différemment selon chaque individu. Le confinement aura été vécu différemment par chacun : sérénité, tensions familiales, difficultés organisationnelles, maladie, deuil. Rien ne peut être ignoré car c’est en connaissant la situation de chacun que l’on comprend mieux les réactions de la personne. Et puis, il ne faut pas oublier que la crise actuelle génère un stress énorme pour chacun car tous les salariés s’interrogent sur leur retour dans l’entreprise et sur la pérennité de leur emploi. Il est donc très important, dans ce contexte exceptionnel, de prendre le temps d’accueillir, d’écouter, de débriefer et de faire exprimer chaque collaborateur sur son expérience personnelle du confinement.
Un retour immédiat dans la recherche de la performance serait purement un acte de violence, nous dit Adrien Chignard, psychologue. « Le passé, c’est le passé, maintenant tous au travail !». Cette réaction est très violente vis-à-vis de l’équipe pour qui le confinement n’a rien à voir avec des vacances choisies délibérément. Ce type de management « brutal » risque de générer de l’agressivité, voire du rejet de la part des équipes qui n’auront alors plus envie de s’engager. Il peut être à l’origine d’une perte de confiance, de démotivation pouvant aller jusqu’au sabotage. Par ailleurs, un collaborateur qui aura subi du chômage partiel peut ressentir le sentiment d’inutilité. C’est très dur pour lui, car l’éloignement de l’entreprise génère la rupture du sentiment d’appartenance à l’organisation. Et cela constitue une véritable souffrance morale et un risque de désengagement vis-à-vis de l’entreprise. « Ils n’ont pas hésité à me mettre à l’écart, alors à quoi bon maintenant… ».
En outre, ignorer la période de confinement serait un acte de lâcheté non assumé par le manager situé alors dans le déni et l’évitement. Cette posture discréditerait le manager, non reconnu comme bon capitaine en temps de tempête. Il ne serait alors plus le référent lors d’une prochaine crise.
Le bon manager sera celui qui prendra le temps de comprendre individuellement et collectivement ce qui vient d’arriver. Et comme le retour au poste ne se fera pas au même moment pour l’ensemble des équipes, il est primordial de faire attention à ne laisser personne à l’écart. Chaque collaborateur doit suivre le même parcours de retour au poste.
Assurer un retour progressif
Le retour se fera donc progressivement, pour ne pas dire en douceur. Le manager prendra le temps de recevoir individuellement chaque collaborateur pour parler avec lui de son vécu personnel de la situation. Ce temps de communication est le moment privilégié pour accueillir, reconnaitre l’investissement de la personne qui a su assurer la continuité du service clients depuis son domicile, pas toujours bien installée et parfois avec des enfants à gérer simultanément.
C’est aussi le moment de remercier les personnes mises en activité partielle pour avoir contribué à la pérennité de l’entreprise. Lors de cet échange individuel, le collaborateur sera invité à s’exprimer sur la manière dont la période a été vécue et à verbaliser les « incidents » ou les tensions professionnelles, s’il en est. Ce temps avec son équipe, permet au manager de sentir « l’état de ses troupes » et au collaborateur de se sentir accueilli, entendu et pris en considération.
Dans un deuxième temps, il est vivement conseillé de réunir les équipes pour débriefer sur cette période de manière collective. On invitera chacun à s’exprimer sur ce qu’il a aimé ou pas de cette nouvelle organisation. C’est non seulement le moment de revenir, et c’est important, sur des actions mal vécues ou mal interprétées (et là, on redonne du sens à l’action), mais c’est aussi le moyen d’en tirer des bonnes pratiques afin de revoir certains modes de fonctionnement ou d’organisation. Ce temps de réflexion commune, de partage sur le vécu, diminue la détresse psychologique et augmente la motivation. Selon Adrien Chignard, « une équipe qui arrive à tirer quelque chose du passé tout en diminuant les conflits à venir [parce que chacun comprend mieux les réactions des autres], possède tous les déterminants de la performance en main. Il n’y a pas de performance sans résilience de l’organisation ». Ce temps commun d’échange permettra donc, à tous, de se remettre en énergie, de recréer de la sérénité, de l’engagement et de remettre de la cohésion au sein de l’équipe. Et chacun sait combien l’engagement du collaborateur transparaît dans sa relation avec le client.
Manager les cas particuliers
Une fois au poste, on pourra identifier 2 typologies de collaborateurs « à risque ».
Il y aura ceux qui ont besoin de relations, de causer, de papoter. Pour eux, c’est une vraie nécessité qu’il ne faut pas négliger. Il est important de favoriser ces échanges, tout en respectant les gestes barrières. Petit à petit, le cadre sera positionné avec des temps de travail et des temps de convivialité. On peut peut-être, cela fera partie des mesures exceptionnelles à durée limitée, accorder des temps de pause un peu plus long ou plus nombreux. Mais ne supprimons surtout pas ces temps d’échange avec les collègues d’entrée de jeux au risque de déstabiliser à nouveau le collaborateur et de le désengager. Le manager ou le superviseur devra faire preuve d’encore plus de bienveillance, de patience tout en étant ferme sur les temps accordés.
L’autre typologie sera le boulimique de travail. Celui qui culpabilise et veut rattraper le temps perdu. Celui-ci au contraire ne prendra pas le temps d’échanger avec les collègues et il risque alors d’être étiqueté et stigmatisé. Outre la grande fatigue qu’il va se générer, il va se retrouver isolé et par là même, créer des tensions au sein du centre de contacts. La progression de l’équipe ou l’atteinte des objectifs en sera d’autant ralentie. Le manager/superviseur devra donc être attentif à ce collaborateur en l’aidant à prioriser ses actions, à prendre du temps avec ses collègues. Il veillera à ne pas le laisser seul ni à assumer seul ses actions. Ce collaborateur doit aussi retrouver du plaisir dans le travail qu’il réalise.
Le retour ne s’improvise donc pas. Outre les mesures de sécurité sanitaires de rigueur, le rôle du manager est primordial pour remettre en route avec sérénité et sans précipitation les équipes de téléconseillers en favorisant les échanges, l’engagement et la cohésion.
A propos de l’auteure :
Laurence VIGILANT est consultante formatrice au sein de la Telsi Academy. Elle profite de plus de 20 ans d’expérience dans le développement commercial des entreprises. En tant que gérante de centres de profit, elle a développé une vision stratégique singulière, permettant une approche différenciante face à chaque problématique. Une forte culture du résultat associée à un management participatif et bienveillant lui permettent d’amener les collaborateurs à performer tout en garantissant leur épanouissement personnel.